LA PIERRE LEVEE DES LATTES

SAINT-AUBAN (06)

Henri GEIST

 

C'est le 22 novembre 1992, que M. M. Garnéro et M. et Mme G. Elleouet, membres du Groupe Archéologique, m'ont montré une pierre levée, au lieu-dit «Collet du Frayssé».

Cette pierre, connue de mémoire d'homme par les autochtones du hameau des Lattes et de ses environs, est un monolithe dont les dimensions sont les suivantes:

  • Hauteur : 2,37 m ; largeur à la base : 1, 50 m ; largeur médiane : 1,28 m ; épaisseur : 0,40 m.

La pierre levée des Lattes (face et profil)

Dans un sous-bois de conifères, au bas d'une rupture de niveau, la pierre (orientée longitudinalement à 7° ouest) est plantée dans une minuscule clairière dont la pente douce (calcaires bioclastiques roux du Crétacé - Turonien supérieur) s'accentue pour finir, à environ 50 m, dans un petit talweg où affleurent des traces de calcaires marneux à Inocérames du Crétacé supérieur (Coniacien). L'aspect général du monolithe se résume à une surface plane sur les deux faces d'un bloc d'épaisseur régulière arrondi au sommet d'où part une arête verticale et une autre qui s'écarte progressivement de l'axe de la pierre pour former un angle d'environ 20° dans le sens de la pente

COMMENTAIRES

Dans un site naturel où la trace de l'homme ne se reconnaît que par quelques épierrements apparemment anciens, la présence insolite de cette pierre dressée attire l'attention et quelques réflexions:

1) L'aspect géologique du site ne présente aucun affleurement rocheux visible, ce qui élimine l'hypothèse que le rocher vertical soit l'ultime vestige d'une érosion ou d'un éboulement.

2) La position verticale de la pierre permet de supposer que celle-ci est suffisamment enfouie dans le sol (environ 1/3 de sa hauteur, soit 70 à 80 cm) . Pour garantir sa stabilité, la pierre a été placée dans l'axe de la pente, ce qui la protège d'éventuelles coulées de terre.

3) L'épaisseur de la pierre paraît correspondre à celle de certains lits de stratification de l'affleurement rocheux du talweg voisin. Celui-ci pourrait être alors le site d'extraction du bloc qui n'aurait été seulement déplacé et monté que sur quelques dizaines de mètres.

4) Les deux faces sont marquées par des stries, des petites concavités et des bosselures dues sans doute à une certaine forme d'érosion du calcaire local.

5) Le sommet de la pierre dessine un arrondi assez symétrique en amande qui peut laisser supposer une retouche.

Par ailleurs, à propos de menhirs et de certaines considérations que l'on a pu lire récemment au sujet du menhir de Roure1 (Vallée de la Tinée), il est bon de rappeler ce qu'a écrit Jean Guilaine, maître de recherche au C.N.R.S. et membre du Conseil Supérieur de la Recherche Archéologique, dans son livre, "La France d'avant la France" (Hachette, 1983) :

"Dolmens et menhirs ( ... ) il y a pour le Midi méditerranéen une dissociation assez nette entre les deux phénomènes. Les périodes de construction demeurent aussi énigmatiques: si les dolmens de l'hexagone sont le produit des civilisations néolithiques, on ne saurait être autant précis pour ce qui concerne les pierres dressées. Certaines sont néolithiques (quelques -unes sont en relation manifeste avec des tertres mégalithiques). Beaucoup doivent être plus tardives et appartenir aux âges des Métaux (âge du Bronze, âge du Fer). L'on sait aussi qu'à l'époque romaine des "bornes" étaient parfois élevées aux carrefours. Et des bornages d'époque médiévale sont peut-être parfois considérés comme des menhirs. Mais rajeunir systématiquement certaines pierres dressées est tout aussi dangereux car certaines fois d'authentiques menhirs ont été utilisés comme lieux de limite ou points de démarcation au cours de divers découpages agraires d'époque historique."

Ces précisions sont importantes car elles précisent les possibilités limitées d'évaluer la datation d'une pierre dressée telle que la pierre des Lattes.

CONCLUSION

De toute évidence, la pierre levée des Lattes est un monolithe dressé artificiellement dont on ne peut préjuger ni de la raison ni de l'époque de son érection en ce lieu. Toutes les hypothèses sont plausibles: un menhir, une borne, un jalon ou une stèle. En attendant d'éventuelles indications que nous recherchons, cette pierre levée mérite d'être répertoriée et bien évidemment protégée lorsque l'on sait que dans les Alpes-Maritimes ce type de pierre dressée de grandes dimensions est rare.

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1. Luc Thévenon, Nice-Historique, 1993, n°3, 4.

 

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