OPERATION DE PROSPECTION INVENTAIRE N° 046 - 1999
Le Parc Forestier Départemental de la Grande Corniche, géré par le Conseil Général des Alpes-Maritimes, est géologiquement situé sur un chaînon jurassique littoral de l'Arc de Nice, désigné " Unité du Mont Bataille ". Il s'étend d'ouest en est sur 6 km, de la Trinité à la Turbie, par l'anticlinal du mont " Camps de l'Allé " qui culmine à 696 m au fort de la Revère. Le versant nord domine le vallon de Laghet et celui, au sud, est face à la mer qui se trouve à 1500 m à vol d'oiseau.
Historiquement, toute la zone géographique située entre le Var et l'Italie, avec Nice comme pôle, a été fortifiée vers la fin du XIXe siècle. Dans le Parc de la Grande Corniche, deux forts ont été construits entre 1878 et 1885 : la Drète et la Revère. Situés sur la ligne de crête, ils défendaient les voies de pénétration par les vallées. Ces ouvrages, dont les dépendances s'étendent jusqu'à la cime de la Forna surplombant la Turbie, sont caractéristiques, par leurs structures de pierres maçonnées ou de béton. Mais dans ce paysage, marqué par cette militarisation, on trouve également des constructions en pierres sèches qui ne correspondent pas à une typologie spécifique d'activités agricoles ou pastorales. C'est le cas au lieu-dit Semboula, avec un ensemble de murets en pierres sèches et des tranchées ceinturant un espaced'environ 7000 m2.
Il faut se replonger dans l'Histoire pour apprendre que, durant la guerre de la Succession d'Autriche (1740-1748), le Comté de Nice fut, en 1744, le théâtre d'opérations militaires opposant les Austro-Sardes aux Franco-Espagnols ; ces derniers qui passèrent le fleuve Var le 1er avril 1744 pour se diriger vers l'Italie, trouvèrent tout un ensemble de retranchements mis en place par les Piémontais. Les hauteurs dominant des passages (col de Villefranche, col d'Eze) étaient fortifiées (mont Alban, mont Gros, mont Vinaigrier, mont Leuze, mont Bastide, la Drète), ainsi que celles plus à l'est, vers la Turbie, de la Revère, de Semboula et de la Forna. C'est à Semboula que l'on retrouve les vestiges d'un remarquable camp retranché austro-sarde qui, avant la Turbie, barrait le chemin de Nice à Gênes.
C'est grâce à trois documents que nous avons pu déterminer avec certitude l'origine, l'époque et la fonction de cette construction révélée par des données géographiques et toponymiques.
Les documents
Le premier document - majeur à notre avis - est une carte intitulée "Carte particulière des environs de Nice et de Villefranche, depuis Ville-neuve en Provence, jusqu'à Monaco. Où l'on voit la marche des armées de France et d'Espagne, leurs passages du Var, et les différentes attaques des retranchements de Mont-Alban et de Villefranche, le 19 avril 1744" (fig.1). Cette carte, à l'échelle d'une lieue commune de 2500 toises, indique l'ensemble des opérations militaires menées par les Franco-Espagnols à partir du 1er avril 1744, jusqu'au 21 avril où les troupes piémontaises abandonnèrent le terrain et s'embarquèrent à Villefranche pour Oneglia (près d'Impéria). Le dessin représente les principaux reliefs du Var à Monaco, de la mer à Lucéram, avec la mention des lieux-dits, l'emplacement des armées combinées de France et d'Espagne, celui des retranchements des Piémontais et, dans un cartouche, le compte rendu détaillé des opérations. Ainsi, ce précieux document montre les positions piémontaises du col de Villefranche, du Mont Gros (qui est l'actuel mont Vinaigrier), du mont Leuze1 et du Plateau de la Justice (désignés comme "une hauteur en forme de Limaçon"), du mont Bastide, du site du fort de la Drète au col d'Eze et de la crête de Semboula jusqu'à la cime de la Forna. Nous apprenons que les retranchements du col d'Eze (la Drète et le Bastide) et ceux de Semboula, furent abandonnés par les Piémontais dès les premières positions de l'armée, que les retranchements du Leuze, de la Justice, des Quatre Chemins, furent forcés dans la nuit du 19 au 20 avril, ceux du Vinaigrier abandonnés dans la nuit du 21 au 22 et que les principaux camps des Piémontais se trouvaient au col de Villefranche et au Vinaigrier. Cette carte enfin positionne d'une façon irréfutable les retranchements de Semboula (Revère, Forna, mont de la Bataille), avec des dessins figuratifs. Ceux-ci représentent des redans, une queue d'aronde et, sur les autres positions, des lunettes, des crémaillères, des lignes à redans, qui sont tous des ouvrages ouverts à la gorge (fig. 3).
10 - Retranchements abandonnés par les ennemis (Piémontais) dès les premières positions de l'Armée (La Drète-Bastide-Semboula). 11 - Retranchements forcés la nuit du 19 au 20 (Justice-Leuze-Quatre Chemins). 12 - Retranchements abandonnés par les ennemis (Piémontais) la nuit du 21 au 22 (Mt Gros-Vinaigrier). 13 - Camp des ennemis (Piémontais) (col de Villefranche-Vinaigrier).
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Texte inscrit dans le cartouche en haut et à gauche de la carte (orthographe de l'époque respectée) : Le 1er Avril les Armées Combinées de France et d'Espagne, ayant passé le Var elles firent environ 80 prisonniers à cette occasion, elles campèrent à Ste Margueritte, et le 5 elles s'avancèrent sur les haureurs appelées de ST. Jean, le 6 l'infant DON PHILIPPE entra dans la ville de Nice ; depuis ce jour jusqu'au 12. Les troupes s'emparèrent successivement des Châteaux d'Aspremont, de Castel-Novo, de la Scarenne, de Péglia, de Castillon, de la Turbie, et quelques autres postes, pour assurer les communications ; et elles trouvèrent postées de mamnière qu'elles environnèrent tous les retranchements. Les troupes destinées à l'attaque des retranchements de Montalban, et de Ville-franche ayant été partagées en 6 colonnes, marcheront le 10 vers les 6 heures du soir afin d'être a portée de commencer le lendemain à la pointe du jour, une septième colonne, qui devrait former une fausse attaque du Côté de la Mer, commença vers les onze heures à faire un grand feu de Mousqueterie, afin d'attirer de ce costé là l'attention des Ennemis ; la première colonne de la droite s'empara pendant ce temps là de quelques cassines qui pouvaient faciliter l'entrée de la Gorge de Ville-franche. Le signal de l'attaque générale ayant été donné elle commença à 8 heures du matin, la 1re colonne de la droite commandée par le Marquis d'Aremberg Lieutt. Génl. des troupes Espagnoles et le Marquis de Mirepoix Maréchal de Camp des Armées du Roy, ainsy que la 2e colonne sous les ordres du Marquis de Campo Santo, aussi Lieutt. Génl. de sa Majesté Catholique, et le Marquis de Bissi Maréchal de Camp, s'emparèrent des Batteries de l'Anima et de la Lampea, qui Flanquèrent la Gorge de Ville-franche, et pénétrèrent jusqu'au fond du Col, Cinq Bataillons Piémontais qui y Estaient, furent faits prisonnier avec le Comte de Suze qui y commandait, les mêmes Colonnes ayant marché sur leur gauche montèrent au haut du Montgros et pénétrèrent jusqu'à l'intérieur des derniers retranchements des Ennemis où après un feu très vif de part et d'autre elles ne laissèrent pas d'en occuper une partie, les 4 Colonnes de la gauche qui avaient commencé l'attaque en même temps que celle de la droite, s'estaient emparées de la 1re Enceinte des Retranchements Ennemis. Le Marquis de Castellar et le Marquis du Chastel à la tête de la Colonne qui formait la gauche avaient chassé les Piémontais d'une hauteur en forme de Limaçon, et si estaient établi ; mais un ravin impratiquable empécha ces 4 Colonnes de pouvoir pénétrer plus loin. Le Combat Général cessa vers les 4 heures après midi. Comme la hauteur sur laquelle le Marquis de Castellar s'estait établi dominait beaucoup la dernière enceinte des Ennemis, ceux cy jugeant qu'ils ne pourraient pas soutenir une nouvelle attaque se retirèrent la nuit suivante après avoir laissé des trouppes dans la Citadelle de Ville-franche et dans le Fort de Mont-Alban et s'embarquèrent le 21 sur des bastiments qu'ils avaient rassemblés dans le Port, abandonnant cette ville dont la Citadelle s'est rendue et la Garnison en a été faite prisonnière de Guerre, il y avait 1600 Piémontais et une prodigieuse quantité de munition de Guerre ; on a trouvé tant dans cette citadelle que les Retranchements et le Fort de Mont-Alban, 120 pièces de Canon, dont 36 sont de Fonte de 24 Livres de Bale. * Carte photographiée par M. Georges Trubert. Le négatif nous a été communiqué par Mme Madeleine Servera, que nous remercions. Le document se trouve au Service Historique de l'Armée de Terre, à Vincennes. |
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Le second document est une carte du Haut Dauphiné, de la frontière ultérieure et du Comté de Nice, levée de 1749 à 1754, sous la direction de M. de Bourcet, maréchal de camp et dressée par F. Villaret, capitaine ingénieur du Roi. En 1763, cette carte est complétée par trois feuilles comprenant le Comté de Nice et la vallée de Barcelonnette, d'après des levés exécutés pendant la campagne de 1748 contre l'Autriche. Le dessin est fin, les reliefs bien représentés avec une exactitude plus proche de la réalité que sur la carte précédente. On trouve mentionnés le mont Gros (à l'emplacement actuel du mont Vinaigrier, comme en 1744) et, au-dessus, le mont des Mignons (l'actuel mont Gros où se trouve l'observatoire astronomique construit en 1881), le mont de Leuza (mont Leuze) et la longue crête du " Mont Cemboule ".
Le mont des Mignons retient particulièrement notre attention, car il ne figure pas sur la carte de 1744 et a donc dû être ainsi nommé après cette date, nous verrons pourquoi plus loin. En 1800, sur la Carte générale des environs de Nice, qui indique les fortifications projetées en exécution de l'arrêté du 1er Consul, en date du 4 Messidor, an VIII, un fort doit être construit sur le sommet du mont des Mignons qui pourra être appelé Fort du Limaçon du nom de la sommité sur laquelle il sera placé. Ainsi nous savons que le mont Leuze était surnommé " Limaçon " et donc que Leuze et Limaçon ne sont qu'un même site constituant les retranchements du col de Villefranche, hauteur qui commande la dernière enceinte des ennemis (carte de 1744). C'est aussi sur cette carte de 1800 que l'on découvre que, sur le versant occidental du mont Gros, des rochers abrupts sont désignés Baus (rocher escarpé) du Vinaigrier.
Le troisième document est un recueil d'écrits sur les faits militaires de cette guerre dans le Comté de Nice. Un récit d'un certain Daniel Minutoli, officier dans un régiment sarde, relate les opérations menées dans ce secteur en donnant des détails sur les positions piémontaises sous les ordres du marquis de Suze. D'autres comptes rendus, provenant du général Comte Pajol et du marquis de Saint-Simon, ont été regroupés avec ceux de Minutoli par Henri Moris, en 1885, sous le titre Opérations militaires dans les Alpes et dans les Apennins de 1742 à 17482 et par A. Caillé, l'année suivante, intitulé : Les Français et les Espagnols à Nice et dans les Alpes-Maritimes au XVIIIe siècle3. Henri Moris illustra son travail par une carte qu'il a dessinée au 1/40000e, titrée Opérations militaires dans les Alpes, qui va de Nice à Monaco et de la côte au Paillon. Les chemins, les retranchements et les sommets sont indiqués ; on retrouve le "Camp du Mont Gros" (Vinaigrier), le mont Leuze, le mont Campi de l'Alle et Cimboula, bien marqués par les lignes fortifiées. Mais, à cette carte, il manque des détails qui prouvent que H. Moris, comme A. Caillé, n'ont pas eu connaissance de la carte de 1744, puisque ce dernier ne retrouve pas sur les cartes et les plans de Nice de son époque deux sites mentionnés par Pajol qui figurent bien sur cette carte.
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Fig. 3 - Détail de la carte fig.1 montrant les retranchements de Semboula. |
Le mont des Mignons
Revenons sur ce mont, anonyme sur le document de 1744, qui se rattache au mont Gros (Vinaigrier) sur lequel étaient établis des retranchements de lignes à redans. L'appellation "Mont des Mignons" n'apparaît sur la carte de Villaret qu'en 1748, ce qui indiquerait que ce sommet a été baptisé entre 1744 et 1748. Ce toponyme perdure au moins jusqu'en 1861, où il est nommé sur un "Plan d'ensemble de la place de Nice et de ses dépendances". Aujour-d'hui, on retrouve son nom sur une plaque indiquant par Chemin du Mont des Mignons, une petite voie carrossable sans issue donnant sur la Grande Corniche, sous l'Observatoire (fig.4). Mais pourquoi ce toponyme insolite, inconnu ailleurs, pour désigner une éminence ? Nous pensons avoir trouvé la réponse grâce à A. Caillé qui relate5 que l'armée hispano-française passe le Var dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1744 et que l'avant-garde de l'armée envahissante, qu'éclairaient 1500 soldats espagnols d'infanterie légère, dits " fusiliers de montagne " ou " los mignones ", (les mignons), s'avança7... H. Moris, de son côté, écrit que les Franco-Espagnols étaient composés de deux corps, l'un de grenadiers et de miquelets (fig. 5), l'autre de dragons8. On apprend par le marquis de Saint-Simon, que les troupes, sous les ordres du prince de Conti, se trouvaient sur les hauteurs de Rimiez surplombant le torrent du Paillon. Celui-ci fut traversé dans la nuit du 13 au 14 avril à Saint-Pons et à la Trinité. Le quartier Saint-Pons se situe à la boucle du Paillon, au pied du mont Gros actuel9.
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Fig. 4 - Panneau indiquant le chemin du Mt des Mignons |
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Fig. 5 - Miquelet (espagnol : miquelete). Dessin extrait du Petit Larousse illustré 1928. Les miquelets étaient des partisans catalans levés par un chef de bande, Miquelot de Prats, au profit de l'armée espagnole, au XVe siècle. En 1689, l'armée française créa, sous le nom de fusiliers de montagne, des compagnies de Miquelets, partisans montagnards du Roussillon, dont l'existence intermitante dura jusqu'au début du XIXe siècle (Grand Larousse encyclopédique, 1963). A la fin du XIXe siècle, les Espagnols appellaient encore miquelets les soldats qui formaient la garde particulière des capitaines généraux ou gouverneurs de province6. |
Grimper sur les pentes de ce mont, permet un accès direct à son voisin le mont Vinaigrier et, un peu plus loin, au mont Leuze. Le premier obstacle, une colline escarpée jusqu'alors innomée, fut certainement conquise par ces éclaireurs espagnols, les Mignons, qui laissèrent leur nom et marquèrent le site d'un fait d'armes. Les Mignons entrèrent alors dans l'Histoire locale pour au moins 117 ans et le chemin du mont des Mignons est le dernier témoin, mémoire de ce fait historique qui marqua les collines niçoises (fig. 6). Sur la carte de l'I.G.N., levée en 1885-94, révisée en 1925 et mise à jour partiellement en 1947, le mont Gros a remplacé le mont des Mignons.
Le camp retranché de Semboula
D. Minutoli nous apprend que le système défensif piémontais du Limaçon (mont Leuze), qui barrait le chemin de Nice à la Turbie par le col d'Eze, avait sa droite appuyée au rocher de la Cimboula, où l'on avait établi une redoute fermée et que des retranchements en pierres sèches couronnaient l'arête du mont Campi de l'Alle (Revère). Ce qui a été sans doute nommé redoute fermée, correspond grosso modo à un retranchement aménagé en camp fortifié. On le trouve installé à environ 1 km à l'est du fort de la Revère et à 500 m à l'ouest de la cime de la Forna, entre 570 et 560 m d'altitude sur le versant nord sous la crête rocheuse aboutissant à la cime de la Forna. Ce retranchement fait suite, vers l'est, à la ligne fortifiée qui, bordant l'actuel fort de la Revère, délimite les communes de la Trinité et d'Eze, sous le nom de Muraille Trinquièra de Gardiola, sur le cadastre de 1873, avant la construction du fort (trinchiéra signifiant en langue régionale : tranchée et gardiola : belvédère, point de vue, de guet). Ce mur est, en grande partie, bien conservé.
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Fig.6 - Photo aérienne de l'I.G.N. (1977) sur laquelle on distingue la redoute de Semboula (flèche) et le retranchement en queue d'aronde (astérisque) - (Archives de l'IGN). |
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Fig. 7 - Plan schématique du camp retranché de Semboula (1744). |
L'infrastructure du camp se développe sur 140 m dans le sens de la courbe de niveau et sur une cinquantaine de mètres dans la pente avec une différence de niveau d'environ 10 mètres (fig. 5, 6 et 8). Bâti en pierres sèches, le mur de l'enceinte, assez bien conservé, est formé de deux parements de grosses pierres et d'un remplissage de cailloux. D'une épaisseur et d'une hauteur moyennes de 1 m, ce mur qui ne devait pas être beaucoup plus haut, est fondé sur des affleurements rocheux qui donnent au rempart un tracé sinueux adapté à la topographie. L'ensemble est limité en aval (N-O) par une tranchée bâtie avec des chicanes (fig. 11), en amont (S-E) par un mur et par une brusque rupture de pente. Deux murs latéraux ferment ce quadrilatère divisé en deux secteurs par un mur perpendiculaire à la grande longueur du retranchement.
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Fig. 8 - La redoute de Semboula.
Fig. 9 - Redoute de Semboula. Secteur 1 |
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Le premier secteur
Situé à l'est, il enclot un sol chaotique, rocheux, en escalier, avec des replats sur les différents niveaux (fig. 9). Une tranchée médiane, bordée par deux murs, le partage presque en son milieu dans le sens de la courbe de niveau (fig. 10). Ce secteur, d'environ 3000 m2, est fermé sur une longueur de 60 m par la tranchée aval, d'où un mur remonte à l'est sur 41 m jusqu'à la rupture de pente où il tourne vers l'ouest en longeant celle-ci, avec des décrochements qui épousent les accidents du terrain, et redescend sur 48 m pour rejoindre la tranchée aval.
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Fig. 10 - Tranchée médiane
Fig. 11 - Tranchée inférieure en chicane |
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Cet enclos possède deux portes : une, à l'est, dans le mur qui, par un pied-droit, s'interrompt à environ 1,50 m d'un gros rocher prolongeant le rempart qui repart du rocher. Cette porte, située au niveau de la tranchée médiane, est défendue à l'intérieur par un petit réduit donnant accès à la tranchée. Celle-ci, presque rectiligne, est un couloir de 1,50 m de large aménagé dans la pente. Il est bordé en amont par un mur d'environ 1,50 m de haut soutenant une petite planche et, en aval, par un mur à double parement de 1 m d'épaisseur en élévation jusqu'au niveau de la planche. La tranchée va rejoindre le mur à l'ouest où elle se termine, sans contact, par un pied-droit. C'est à une quinzaine de mètres au-dessus que se trouve l'autre porte. Bien appareillée et fortifiée à l'intérieur par un poste de tir, elle s'ouvre sur le deuxième secteur où un large escalier de quelques marches permet de monter facilement contre le mur et de le longer avec ses décrochements aménagés en postes de tir (fig. 13). Ces petits réduits défensifs ne se trouvent que sur ce mur à l'ouest, limite du deuxième secteur.
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Fig. 12 - Mur est et mur médian.
Fig. 13 - Porte ouest. |
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Le deuxième secteur
Il prolonge le précédent sur environ 80 m vers l'ouest (fig. 14). Ses limites sont la tranchée aval, de laquelle un mur remonte jusqu'à la rupture de pente que l'on suit pour atteindre le mur ouest du premier enclos. Ce secteur englobe 9 terrasses aplanies, épierrées, soutenues par des murets accolés au mur ouest du premier secteur. Ces terrasses, en arc de cercle, sont modelées au relief d'une légère dépression. La largeur de ces planches varie, selon l'inclinaison de la pente, d'une dizaine de mètres à quelques mètres. Une de ces terrasses est interrompue par un retour en angle droit pour former comme une plate-forme.
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Fig. 14 - Vue du secteur 2 de la redoute de Semboula. |
En amont, sur la seconde terrasse à proximité du mur d'enceinte, on trouve un puits cylindrique, aux parois bâties en pierres sèches, d'environ 8 m de profondeur et de 1,25 m de diamètre. Il possède une margelle cimentée de 0,45 m, légèrement inclinée vers l'extérieur avec une cannelure pour recevoir un couvercle (fig. 15). A 9 m en aval du puits, un trou a été aménagé dans le talus de 0,60 m de hauteur de la terrasse suivante (fig. 19). Le puits et le trou ont de l'eau. Notons encore la présence de deux excavations artificielles, d'environ 2 m de diamètre et de profondeur, remplies de terre et de pierres. Ces fosses, dont l'une est consolidée au niveau du sol par un parement de pierres, se trouvent sur les 6e et 7e planches en aval, à proximité du mur séparant les deux secteurs.
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Fig. 15 - Le puits.
Fig. 16 - Retranchement en queue d'aronde surplombant la redoute. |
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Réflexions
Que représente ce secteur aménagé en terrasses évoquant un terrain cultivé ? Au premier abord, il paraît incontestable que les deux secteurs font partie du même ensemble retranché. La tranchée qui le protège d'un bout à l'autre, avec des chicanes de 3 m environ de côté, espacées tous les 10 m, et limitée par un mur à chaque extrémité, indique bien qu'il s'agit d'un espace protégé. Ces terrasses sont les seules de tout le versant pentu de Semboula qui, de la Forna à la Revère et au-delà, au lieu-dit l'Eusièra, n'est qu'un terrain pierreux, rocailleux par la proximité de l'affleurement rocheux. C'est un terrain que le cadastre de 1873 désigne essentiellement comme un bois morcelé par quelques parcelles de pâture. A l'emplacement actuel du camp, ce même cadastre mentionne 5 parcelles qui l'englobent à peu près dans ses contours, à quelques mètres au-dessus du " chemin de Semboula à la Turbie " qui existe toujours. Deux de ces parcelles correspondent à l'emplacement des terrasses et sont appelées " terre-vigne ", avec un " bâtiment-rural " (cabane ruinée en pierres de 18 m2, encore visible). Une terre-vigne est un terrain pouvant être labouré, associé à la vigne (terre défendue aux troupeaux, avec ou sans vignes) dont il n'y a aucune trace sur ce versant orienté au nord. En 1873, donc, ce terrain n'était pas exploité.
La dépression où le camp est installé se trouve dans une étroite bande de calcaires à grain très fin de teinte claire du Jurassique supérieur (Séquanien) où, à faible profondeur, une couche imperméable accumule les eaux d'infiltration que le puits atteint. Ainsi, puits et trou d'eau aménagés révèlent une nécessité, celle d'avoir de l'eau en permanence.
Qui construisit ces terrasses ?
Première hypothèse
Les Piémontais choisissent ce site en sachant qu'ils trouveront de l'eau. Ils construisent un camp sur un terrain en partie en friche qu'ils épierrent, aménagent et clôturent en creusant une tranchée et en dressant des murs. Ensuite, ils divisent ce camp en deux secteurs : un sur la partie en friche qu'ils organisent en grande redoute, avec défense intérieure (tranchée de tir) et l'autre qui englobe un espace qu'ils trouvent déjà aménagé avec des planches cultivées ou abandonnées et un puits. Rappelons que ce sont ici les seules terrasses de tout le versant.
Deuxième hypothèse
Les Piémontais aménagent le site tel que nous le retrouvons. Les terrasses, le puits qu'ils creusent, le réduit fortifié, forment l'ensemble du camp retranché, espace organisé pour l'installation d'un campement, avec les impedimenta et l'artillerie. Sa superficie pourrait correspondre à un effectif d'environ 200 hommes. En effet, pour tenir efficacement le front de la tranchée de 140 m et celui de 52 m du mur ouest (sans compter la tranchée médiane), il faut un tireur tous les mètres (pour assurer un tir continu pendant le rechargement des fusils), soitenviron 200 soldats. Ainsi, pour occuper cette position, les Piémontais ont dû niveler le terrain, l'épierrer, créer des terrasses soutenues par des murets, aménager un réduit, l'épierrer également, organiser son espace en créant des gradins sans terrasses et construire une tranchée à l'intérieur. C'est cette hypothèse qui nous semble la plus plausible.
Enfin, à environ 150 m à l'est, au-dessus dans la pente, immédiatement sous la crête et surplombant le camp, on trouve un mur en forme de M ou de V (ouverture à l'opposé de l'attaquant), en bon état, qui est un retranchement en queue d'aronde, d'une quarantaine de mètres d'ouverture (fig. 6 et 16). Ce type de défense simple est bien figuré dans ce secteur sur la carte de 1744, qui a englobé avec d'autres dessins les positions de Semboula, Forna et du mont de la Bataille.
Conclusion
1745 : les combats cessent dans ce secteur et les Espagnols occupent la Turbie.
1746 : les Austro-Sardes envahissent de nouveau la région et refoulent les Franco-Espagnols qui repassent le Var le 17 octobre. La Turbie et ses environs sont occupés par les Autrichiens.
1747 : l'armée franco-espagnole franchit le Var et les combats reprennent dans le Comté et dans ce secteur qu'ils occupent de nouveau.
1748 : le conflit se poursuit jusqu'au 18 octobre (traité d'Aix-la-Chapelle).
1997 : nous retrouvons un remarquable vestige de cette guerre.
Ce retranchement de 1744, oublié et enfoui dans un maquis10, présente un intérêt intrinsèque par son agencement spécifique qui permet de découvrir une infrastructure militaire bien conservée de cette époque et, à notre connaissance, très particulière parmi l'ensemble des retranchements connus au nord et à l'est de Nice.
Ainsi, ce site mérite d'être inscrit dans l'inventaire départemental du Patrimoine et mis en valeur pour en faire, comme sur le mont Vinaigrier, à Nice, un lieu de découverte.
Notes
1 Des vestiges de murs sont encore bien reconnaissables sur ces deux sites.
2 Annales de la Société des Lettres, Sciences et Arts.
3 Bulletin de la Société Niçoise des Sciences Naturelles, Historiques et Géographiques.
5 Les Français et les Espagnols à Nice et dans les Alpes-Maritimes au XVIIIe siècle, p. 35.
6 D'après le Dictionnaire Français illustré et Encyclopédie Universelle par B. Dupiney de Vorepierre, Paris, 1879.
7 A. Caillé semble ignorer l'existence du mont des Mignons à l'epoque, car il aurait précisé, dans son information, que ce nom avait été donné au Mont Gros actuel.
8 Opérations militaires dans les Alpes-Maritimes et les Apennins. (1742-1748) " (P.29).
9 Le plan cadastral de la ville de Nice de 1812, trace une voie dite "chemin de St-Hubert", qu'on retrouve sur la carte générale des environs de Nice de 1800, et qui du Paillon, en face St-Pons, sur l'autre rive, s'élève vers le mont des Mignons, jusqu'à la Grande Corniche, dite " Nouvelle route de Paris à Gênes " où un chemin s'élève vers le sommet.
6 D'après le Dictionnaire Français illustré et Encyclopédie Universelle par B. Dupiney de Vorepierre, Paris, 1879.
7 A. Caillé semble ignorer l'existence du mont des Mignons à l'epoque, car il aurait précisé, dans son information, que ce nom avait été donné au Mont Gros actuel.
8 Opérations militaires dans les Alpes-Maritimes et les Apennins. (1742-1748) " (P.29).
9 Le plan cadastral de la ville de Nice de 1812, trace une voie dite "chemin de St-Hubert", qu'on retrouve sur la carte générale des environs de Nice de 1800, et qui du Paillon, en face St-Pons, sur l'autre rive, s'élève vers le mont des Mignons, jusqu'à la Grande Corniche, dite " Nouvelle route de Paris à Gênes " où un chemin s'élève vers le sommet.